Suite à la participation de 6 membres de la section karaté shotokaï LATECOERE au stage international de Sérignan 2007, voici un témoignage présentant le déroulement d’une journée type, puis faisant un petit bilan de l’enseignement que nous y avons reçu.
Mon portable sonne : je tâtonne dans le noir pour le faire taire, et retombe sur le lit dans un soupir résigné. J’allume la lumière. Il est 5h40 et j’ai mal partout. Allez, faut pas se laisser aller, on se secoue. Dans la pièce principale du mobile-home, un deuxième portable se manifeste, et provoque des réactions comparables et ensommeillées. Nous nous levons. Sans trop parler, pour ne pas réveiller les filles de Denis d’une part, mais aussi parce que le sommeil ne nous a pas encore complètement quitté, nous faisons chauffer un peu de café et enfilons nos kimonos. Quand nous sommes arrivés, ils étaient blancs. Plus maintenant. Le sable de la plage les macule d’ocre, particulièrement les bas de pantalons. Nous buvons rapidement un petit café et avalons un biscuit ou deux : il ne faut pas trop se charger, l’heure du vrai petit-déjeuner attendra.
Le temps tourne vite, il faut déjà y aller. Nous sortons dehors : il fait frais, pas vraiment froid, mais peu protégés par nos kimonos et encore transis de sommeil, Manu, Thibault, Jacques, Denis et moi frissonnons un peu en commençant la traversée du camping. Les étoiles luisent encore dans le ciel, quoique de plus en plus timidement. Nous arrivons à la dune qui sépare le camping et la plage. D’autres ombres blanches semblent se hâter dans la même direction que nous : une portion de plage éloignée de l’eau où le sable semble avoir été labouré. Le sable est frais sous nos pieds quand nous abandonnons nos tongues devant la dune, avec celles de ceux qui sont arrivés avant nous. Nous les saluons, et discutons un peu en attendant les autres.
Notre Sensei arrive à son tour : pauvre André, ses plantes de pieds sont couvertes de crevasses, ce qui explique sa démarche peu gracieuse. Mais ne nous trompons pas : il se réserve pour le Karaté. L’aube blanchit. Tout d’un coup, un ceinture noire part en courant, suivi par tout le groupe, il doit être 6h30. Ça part très vite, et les 200 premiers mètres du jogging traversent le sable meuble pour arriver au bord de l’eau. Nous bifurquons vers AGDE, courant juste à la limite de l’eau. En fait la marée monte. Elle a beau être petite, cette marée de Méditerranée, elle n’en grignote pas moins la bande de sable à peu près ferme où nous essayons de courir. Certains se retrouvent feintés et pataugent dans l’eau pendant quelques foulées. Nos pieds nus laissent des empreintes plus ou moins profondes dans le sable, et la course s’étire dans la demi-obscurité. Le coureur de tête tourne soudain à gauche et nous nous attachons à ses foulées, dans le sable meuble à nouveau, pour contourner un obstacle qui sert de point de repère, avant de repiquer vers le bord de mer. Le bout de plage qui nous sert de dojo est à nouveau en vue, nous nous prenons à espérer une issue prochaine à cette course de dératés, mais nous continuons tout droit. Alors que nous nous faisons une raison, l’homme de tête tourne enfin vers l’objectif, en accélérant ! Avez-vous déjà essayé d’accélérer une course rapide sur du sable meuble ? ! Nous arrivons tout essoufflés face à la ceinture noire qui nous a fait courir et qui, sans perdre un instant, annonce « gymnastique ».
Nous saluons et nous mettons à sauter sur place à son rythme, en essayant de récupérer notre souffle. Autant nos sauts étaient hauts au dojo, autant ceux-ci peinent à nous décoller du sable, tant ce dernier est meuble et tant la course nous a vidés. La gym continue à un rythme soutenu, les bras rejoignent les jambes dans l’exercice, puis tous cessent pour permettre l’échauffement du cou et des épaules. Les exercices s’enchaînent ensuite sans temps morts, au rythme de la ceinture noire qui compte en japonais : ichi, ni, san, shi, go, roku, sichi, hachi, ku, ju … Nous enchaînons ensuite par les étirements réalisés seuls, mais dans le rythme de celui qui anime la gym. Après des étirements empruntés au yoga, il annonce enfin « gymnastique terminée » et nous le saluons.
Le sensei Luis de CARVALHO et lui se saluent alors. Nous nous alignons sur les ceintures noires à droite, puis en descendant les grades jusqu’à la ceinture blanche à gauche. Le maître et ses 2 adjoints nous font face, ses deux autres assistants forment un troisième côté à ce rectangle. Les premiers descendent lentement et en même temps en seiza (à genoux), puis les seconds. Au commandement « seiza », nous descendons à notre tour. Nous sommes à présent tous à genoux (assez écartés), le dos droit, les poings reposant sur les cuisses. Le cri « mokusooooooooooo » retentit et se prolonge, pour annoncer la méditation. Nos mains changent de forme et nous fermons les yeux à demi. Le temps s’étire et ne se ressemble pas. A un moment retentit « yaméééééé » et nous sortons de notre méditation. Au commandement « rei », nous nous inclinons tous. Nous recherchons dans l’harmonie le moment où le maître se redresse pour en faire autant. Luis et ses adjoints se relèvent en harmonie, puis saluent les 2 assistants qui le leur rendent en s’inclinant. Un « kiritsu » nous relève enfin.
Le cours à proprement parler commence à présent par le « ki-hon ». Le maître annonce la défense « gedan-baraï » (balayage bas) puis « ïoïïï » (préparez-vous) et nous descendons en « zen-kutsu » (grand pas en avant) en nous protégeant comme demandé. « Yamé » (revenez). Le maître commente la position, montre ce qu’elle doit être et ce qu’elle ne doit pas. Puis ça repart « ïoïïï » et ça s’enchaîne, parfois très lentement « iiitchhhhh », d’autres fois très vite « uchup », toujours très longtemps et toujours très bas. Les cuisses brûlent. Nos visages peinent à ne pas montrer la douleur. « Uchup », « uchup », et à chaque mouvement, nous essayons de corriger nos positions, d’améliorer nos gestes, « uchup », « uchup ». Le maître et ses assistants passent parmi nous pour corriger les positions, pour nous encourager à garder des positions basses. De temps en temps, Luis annonce « nahoré » et nous nous remettons lentement debout, sans relâcher la concentration. Dans cette position, nous devons être prêts à reprendre le combat instantanément. Un « yassumé » nous permet de nous détendre quelques rares instants. Nous repartons souvent assez rapidement, sur le même exercice ou sur un autre. Le soleil est à présent levé.
Afin que chacun progresse au mieux, Luis isole souvent les ceintures blanches et jaunes du reste du groupe, et délègue un ceinture noire pour s’occuper de nous. Comme nous ne sommes que 3 (1 blanche et 2 jaunes), nous sommes particulièrement bien suivis. Nous travaillons particulièrement les 4 défenses que sont « gedan-baraï » (balayage bas), « chudan soto-uke » (défense du niveau moyen partant du haut), « chudan uchi-uke » (défense du niveau moyen partant du côté) et « jodan age-uke » (défense de la tête partant d’en bas), ainsi que l’attaque « chudan oï-tsuki » (coup de poing au plexus). Comme avec Luis (et André le reste de l’année), les exercices sont conduits intensément et jusqu’à épuisement. Epuisés, les muscles inutiles ne se mettent plus en travers de ceux qui travaillent encore.
On nous aligne à nouveau. « Deux par deux » : le moins gradé vient se mettre en face du plus gradé de la ligne et ainsi de suite. C’est l’ « ippon kumite » qui commence, le travaille à deux. « Attaque chudan oï-tsuki, défense chudan uchi-uke » annonce le maître. Et chacun réalisera 5 attaques à droite et autant à gauche pour permettre à son partenaire de parer, avant d’inverser les rôles. Comme les attaques doivent être portées avec sincérité, celui qui pare ne doit pas se rater. Le but n’est pourtant pas de tromper sa défense, mais de travailler la communication entre les deux partenaires : complètement concentré sur l’attaquant et ne le quittant pas des yeux, celui qui défend doit sentir le moment où l’attaque se déclenche et partir avant. Il a ainsi tout le temps pour parer. Ce travail commence par un salut mutuel qui marque l’entrée en concentration. A partir de là, les regards ne se quittent plus jusqu’à la dernière attaque. Le maître et ses assistants passent parmi les binômes pour corriger, montrer, reprendre. Au signal, on s’aligne à nouveau pour changer de partenaire. Malgré les apparences, le travail en concentration est éprouvant mentalement et physiquement.
Le maître nous réaligne, puis nous fait nous décaler 1 sur 2, et encore une fois. Nous sommes à présent en position pour les kata. Il annonce le premier que tout le monde apprend : « taïkyoku chudan ». Au « ïoïïï », nous nous mettons en « shizentaï », les pieds parallèles espacés de la largeur des épaules, le poids sur l’avant du pied : dans cette position, nous sommes concentrés et prêts à partir. Nous cherchons à sentir quand Luis va lancer le « adjimé » du début, et cherchons à partir à cet instant précis. C’est parti : défense basse et attaque enchaînée, retournement en défendant bas et attaque au plexus … chacun réalise son kata en cherchant à respecter l’harmonie de l’ensemble, et en s’appliquant à parfaire ses gestes et ses positions. Tous le monde a fini, et cherche à aller plus bas. « Nahoré ». Sans rompre la concentration, nous remontons doucement en shizentaï. « Yassumé ». Nous nous détendons mais le répit est de courte durée. Luis précise et montre quelques détails que nous avons malmenés, et c’est reparti ! Et encore. Et encore une fois. Et cette fois le plus vite possible. Encore. La même chose. Encore. Epuisés, nous tenons la position finale. « Et nahoré » ! Nous remontons. « Et yassumé ». « C’est terminé ». A son exemple, nous nous mettons à effectuer des rotations de bassin en laissant flotter nos bras, pendant un certain temps. Ca détend bien. « Sinkokyu » : nous nous laissons tomber accroupis avant d’ouvrir les bras en montant pour inspirer tout l’air disponible, pour chercher à atteindre le ciel … Au sommet de la respiration, nous nous laissons retomber accroupis en soufflant tout l’air de nos poumons. Au point le plus bas de la respiration, nous repartons à l’assaut de l’air et des cieux. Nous réalisons ce mouvement 3 fois et finissons accroupis. « C’est fini » !
Nous nous réalignons, rajustons nos kimonos. La cérémonie du salut se répète, identique à celle du début, et vient clore l’entraînement du matin dans le calme et la méditation. Le groupe se disperse. Les « LATECOERE » restent un peu discuter avec André et les maîtres, avant de traverser le camping qui s’éveille pour regagner le mobile-home. Comme souvent, les filles ne sont pas réveillées. Nous récupérons nos affaires et allons nous doucher aux installations collectives du Patio. Le Patio du camping « le Sérignan-plage » regroupe des sanitaires, un tennis, un restaurant, une superette, un boulanger, un boucher, un poissonnier, un centre d’information …. C’est le cœur du camping et nous n’en sommes pas bien loin. Ses installations sont superbes et pratiques et, la douche est chaude ! Il est alors temps de soigner les blessures des uns, particulièrement celles des pieds : dans le sable, ça ne peut pas s’améliorer tous seul.
Ayant retrouvés figure humaine, nous nous attelons à la préparation du petit-déjeuner. Le café passe, l’eau du thé bout, le pain se tranche, les confitures (de la mère de Jacques) et le beurre ornent la table qu’occupent déjà bols, couteaux et cuillères, à l’ombre de l’auvent du mobile-home. Nous attabler suffit généralement à faire se lever les filles, les yeux encore pleins de sommeil. Le moment est agréable, et s’étire tant il est bon de manger après les efforts fournis. Les confitures de la mère de Jacques, à la prune et à la pastèque, reçoivent un accueil enthousiaste. C’est avec un sentiment de … plénitude que nous quittons la table. La fin de la matinée s’occupe de diverses façons : la mer et la piscine nous tendent les bras, auxquels certains préfèrent ceux de Morphée. D’autres se consacrent aux courses pour les prochains repas.
Le repas se prépare et la cuisine bourdonne d’activité. Chacun s’affaire, ou bulle, ou vaque à ses affaires, mais le déjeuner prend forme. Généralement basé sur une grosse salade composée, le repas nous retrouve tous et toutes rassemblés dans la bonne humeur. Quand les appétits sont rassasiés et que la vaisselle s’achève, nos vaillants karatékas offrent une petite sieste à leurs corps courbatus.
16h00 : sonnerie du portable. Cette petite sieste fait beaucoup de bien … à condition d’arriver à en sortir ! D’où le réveil 1h avant le début de l’entraînement, pour une petite remise sur pieds au sens premier du terme. Finalement habillés de nos kimonos (sales), nous retraversons le camping vers la plage, éveillant souvent de la curiosité. Nous retrouvons sur la plage nos camarades. L’ambiance est différente : tout autour de nous passent des familles en maillot, des cervolistes, au loin croisent les dériveurs et les ULM tractent des banderoles publicitaires devant la plage. Le calme de l’aube n’est plus.
L’entraînement part tout de suite sur la gymnastique, avec le même rituel qu’au matin. S’ajoutent juste des aller et retours en canard (sauts glissés en avant, accroupis, les pieds écarts et les mains dans le dos) avant les phases en grand écart. C’est dur dans le sable, et on s’échauffe vite. Les étirements se font à deux, ce qui permet de beaucoup mieux s’étirer. Le même rituel de salut et de méditation se répète, et nous devons offrir un spectacle assez inhabituel sur une plage.
Le cours commence : « alignez-vous. Décalez-vous un sur deux. Encore. Seiza ». Nous descendons en seiza. Que nous réserve Luis ? « mae-giri à partir de seiza ». Quoi ? ! Démonstration de Luis : partant de la position à genoux, le genoux monte à l’épaule puis se tend, balle du pied en avant, puis la jambe retombe en zen-kutsu. La jambe arrière suit et se retrouve à 90°, les doigts de pieds au sol. Vache ! Ce n’est pas gagné ! Luis compte « itch » : la jambe monte bien et ce n’est pas trop vilain, mais la jambe arrière n’a pas bien suivi. « Ni » : au tour de l’autre jambe, pour un résultat équivalent. J’essaye d’améliorer la forme du pied. « San » : encore. « Shi » : et encore. « Go » : et encore. « Roku » : et encore. Une ceinture noire vient me rectifier la jambe arrière, ce n’est pas évident du tout. A chaque coup de pied, le genou de la jambe arrière creuse un sillon dans le sable. A force, les genoux fatiguent. Luis ré-explique et remontre le mouvement, et c’est reparti, chacun à son rythme cette fois. Cet exercice semble durer un temps très long. Finalement, le « nahoré » retentit : retour en seiza, prêt à tout. « Yassumé », on relâche, et nous retournons nous aligner.
Nous autres ceintures blanches et jaunes allons poursuivre l’entraînement à part, sous la tutelle d’un ceinture noire. Il nous fait faire du « ki-hon » pour les 4 défenses et l’attaque chudan oï-tsuki, en faisant un effort particulier sur les « kaïté », c’est à dire les demi-tours. Là encore, l’effort est long et profond, et une attention toute particulière est portée aux positions. Puis ce sont les katas qui ont droit à nos efforts. Nous insistons tous particulièrement sur le caractère pénétrant des attaques, et sur le fait que les défenses doivent aller loin. En fin de cours, nous rejoignons les autres pour le kata « taïkyoku chudan » réalisé cette fois-ci à des vitesses de plus en plus lentes ! Difficile à réaliser en 1 minute, il nous faut le faire en 2 ! La sensation lors de son exécution à vitesse normale est différente après une épreuve pareille. Le cours se termine, Luis nous fait nous détendre en « Sinkokyu ». Nous nous alignons ensuite, pour la méditation finale (en seiza, comme le matin).
Après le cours, certains d’entre nous se laissent tenter par un petit plouf dans la mer. L’eau n’est pas très chaude, elle me rappelle la Manche, mais une fois entièrement mouillé, le bain est vivifiant et fait beaucoup de bien. Nous retraversons le camping. Une jeune fille devant une tente nous lance un « c’est la guerre ? » en nous voyant déambuler dans nos kimonos maculés de sable. « C’est la guerre », lui répondons-nous avec un sourire. Allez, à la douche.
Nos ablutions terminées, la préparation du repas s’organise et la table se met. D’une chose à l’autre, le repas ne commence pas très tôt et finit généralement tard. Un peu épuisés et raides de partout, nous peinons à aller nous coucher, mais il faut se faire violence : demain, le réveil est à 5h40 !
Enseignements suite au stage de SHOTOKAÏ de Sérignan 2007 :
Nous sommes arrivés assez confiants, bien que lucides sur la difficulté de ce qui nous attendait : nous n’avions pas vraiment fait de pause estivale, avec un dernier entraînement le jeudi juste avant le départ en stage. Voilà pour la confiance. Pour la lucidité, André ne nous a jamais habitués aux entraînements « faciles », et nos expériences respectives des stages de Toulouse et de Scarpéria nous éclairaient un peu sur la difficulté de ce qui nous attendait. Les « ils vont à Sérignan et ils rigolent !» que nous lançait André Czeczotka nous ont-ils rassurés ou inquiétés ? Dur à dire. Toujours est-il que nous arrivons au premier entraînement aux aurores dans de bonnes dispositions. Et là, ça commence assez franchement.
Le premier entraînement se déroule et nous retrouvons les repères des stages « in-doors » passés, le sable et l’absence de murs en plus. Nous avons encore l’impression de travailler bas : il faut dire qu’une bonne partie des stagiaires était déjà là en première semaine, et que cette impression va très vite se dissiper au fil des entraînements.
Le deuxième entraînement vient mettre les points sur les « i » : c’est dur, il va falloir tenir la longueur … Ce sentiment peut faire naître la tentation de s’économiser un peu. Le risque réel n’est pas monstrueux : Luis de Carvalho et ses assistants ne nous laissent pas vraiment la possibilité d’y céder, ce qui n’est pas plus mal, puisqu’on est venu pour apprendre.
S’insinue alors rapidement en nous la sensation troublante de ne plus savoir faire grand-chose, nous qui abordions le stage avec le sentiment d’avoir -tout de même- bien progressé pendant l’année. Luis et les ceintures noires qui nous encadrent nous reprennent sur des choses que nous pensions, manifestement à tort, avoir maîtrisées. En zenkuzu par exemple, l’ouverture du genou avant, la position de la jambe arrière, la rectitude du dos, jusqu’à nos nakadaken (poings démons) pas assez serrés, toutes nos bases semblent finalement être assez vacillantes. Nos défenses souffrent de nombreuses imperfections que nos professeurs nous signalent inlassablement (merci à eux). Nos attaques n’échappent pas au phénomène. Et ce qui est vexant, c’est qu’il s’agit pour la plupart de choses que nous savons et qu’André n’a cessé de nous seriner ! Enfin, cette sensation de repartir (presque) à zéro ne peut que nous aider à acquérir et conserver « l’esprit du débutant », comme nous sommes encouragés à le faire. Nos muscles flageolants renforcent encore la sensation de débuter.
Le sable offre un support à double tranchant (au vu des dessous de pieds de certains, le terme est approprié) : d’un côté il amorti, masque les pieds, ne s’oppose que peu à nos déplacements, de l’autre il offre un appui mouvant qui complique l’équilibre, abime les pieds, s’insinue dans les plaies et se met dans nos yeux quand nos maï-giri le soulève. Il participe probablement à la remise en question de notre karaté.
Il est d’ailleurs paradoxal de parler de notre karaté, alors qu’on nous pousse à « voler » à nos maîtres le leur. S’il est le fruit d’un vol, est-il vraiment le notre ? En tout cas, Luis et les ceintures noires qui se succèdent à notre chevet exposent à nos envies de larcins un butin potentiel alléchant : l’unicité du mouvement, une concentration instantanée et continue, des postures très basses, une décontraction de tout ce qui ne sert pas … Il est dur de choisir, mais il est encore plus dur de se les approprier. Et pourtant, de nos efforts imparfaits de reproduire ce qui nous est montré naissent des sensations nouvelles, plus conformes (peut-être) aux mouvements auxquels elles s’attachent.
Au chapitre des sensations, il me faut citer à nouveau le simple fait de serrer les poings à fond : ça modifie notablement l’exécution des mouvements. D’autres détails modifient en profondeur l’efficacité des gestes. La rotation du poing lors d’un oï-tsuki, réalisée en fin de course, verrouille le bras et donne de la pénétration au coup, alors que, réalisée en début de course, elle arque inutilement la trajectoire. L’importance de garder le regard haut, de ne pas regarder ses pieds, de réaliser les katas comme un combat, de ne pas retenir ses mouvements … Autant d’éléments que nous tâchons d’intégrer à notre pratique, avec difficulté mais profit. Certains éléments ne sont pas digérés et nécessiteront encore beaucoup de travail. Je trouve particulièrement difficile de rester impassible dans l’effort et la douleur, ou de ne pas jurer quand je massacre un mouvement. Le fait de savoir que mon pire et seul ennemi soit moi-même ne suffit pas à m’empêcher de l’insulter quand il fait n’importe quoi ! Bien du travail en perspective.
Enfin, Sérignan c’est aussi l’exemple de Luis et des autres maîtres, qui vient appuyer et compléter l’enseignement d’André. C’est surtout la rencontre de personnes, une expérience humaine riche dans l’effort. C’est une vie collective en mobile-home, un mélange étonnant d’effort intense et de vacances en camping. C’est le sentiment d’appartenir à la famille du shotokaï de Maître Murakami. Mais il ne s’agit pas juste d’une appartenance de fait, plutôt d’une appartenance qui se renouvelle sans cesse dans un dur travail : on sait ce qu’on a, et sait ce qu’on y met.
Stéphane Ramis
Membre de la section Karaté Shotokaï de l’USAL (LATECOERE) |