Le mot "Keiko" (prononcer keikôô) veut dire pratique, travail, littéralement « étude des choses anciennes ». Maître EGAMI l’a bien expliqué dans son livre "KARATE-DO, THE WAY OF KARATE" malheureusement disponible seulement en anglais*, la différence entre "Renshu", l'entraînement physique, et "Keiko" qui signifie une pratique qui englobe à la fois le corps et l'esprit. Toutefois, où se situe la limite entre ce qui est physique et ce qui est spirituel ? Le mot keiko a plus de rapport avec l'attitude à adopter pendant la pratique qu'avec la pratique elle-même.
Le keiko change avec l'âge et au fur et à mesure que l'on avance dans la pratique. La motivation initiale du débutant n'est pas tellement importante. Ce qui est important, c'est ce qu'il y a dans notre karaté et ce que nous pouvons transmettre : c'est à dire son caractère éducatif. Ce que nous pouvons comprendre et transmettre est le fruit de notre keiko. C'est pour cela un chemin sans fin.
Maître MURAKAMI disait que, en karaté, il y avait trois points importants : "Premièrement le travail, deuxièmement le travail et troisièmement le travail". Le mot « travail » tel qu'il l'employait correspond à la traduction du japonais "Keiko". En effet, tout doit tendre vers le "Keiko".
L'Association a pour but d'offrir à ses adhérents la possibilité de se consacrer au keiko dans une relative tranquillité. Toutes les actions ne doivent tendre que vers ce but. Que ce soit l'organisation d'un stage ou d'une tombola.
Le travail nous permet d'avancer. Maître EGAMI disait: "KARATE WA KEIKO". (LE KARATE C'EST LE KEIKO). Je me souviens qu'il y a quelques années on parlait beaucoup de travailler 35 heures et d'être payés 40 heures. Le Maître disait alors avec malice: "Dans la vie vous faites comme vous voulez. Toutefois en karaté si vous vous voulez gagner plus, progresser plus, il faut travailler plus. Travaillez moins et gagner plus ce n'est pas possible en karaté".
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Pourquoi pratique-t-on le karaté? Le karaté, qu'est-ce que c'est?
Que le pratiquant se pose cette question, et c'est déjà là le Karaté-Do, la Voie du Karaté. De nombreux récits sont connus sur ce que Maître EGAMI appelait des « keiko spirituels » : rester pendant une heure en garde avec un sabre en bois et à la fin exécuter un seul coup en libérant toute l'énergie ou parcourir trois kilomètres en usagitobi (sauts de canard).
Là où certains voient une sottise, Maître EGAMI parle d'énergie, de ki. L'action de la volonté est inutile. On ne peut pas dépasser ses propres limites par la seule utilisation de la volonté. Notre corps réagit plus vite. Le keiko c'est d'abord l'éducation du corps. Si, par exemple, nous avons honte, notre visage devient rouge. En essayant de ne pas rougir, on devient encore plus rouge.
De même quand on a peur le visage devient pâle. La volonté peut nous aider sur la Voie. Mais la compréhension passe par le corps et non point par la simple volonté. La seule pensée n'est pas suffisante. Il faut habituer le corps à faire des grands mouvements, à adopter des postures basses et grandes. En effet, si on n'y prête pas attention, petit à petit, les postures et les mouvements se rétrécissent
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Il faut d'abord vider les muscles de leur force, "casser" le corps. Répéter, répéter, répéter. Alors commence le monde du vrai keiko.
Il ne s'agit pas de se mortifier. Souffrir n'est pas un but louable. Chercher à ne pas souffrir n'est pas non plus la bonne voie.
Toutefois, il faut s'attaquer aux difficultés avec vigueur. Sans hésiter ni reculer. Si nous n'y prenons pas garde nous choisissons toujours la solution qui nous paraît la plus facile. Très souvent, nous déterminons nous même ce qui est trop dur ou ce qu'il n'est pas possible de réaliser. Parfois nous l’exprimons avant même d'avoir essayé. Cet esprit là, ce manque de vigilance, c'est cela qui nous écarte de la Voie. Le keiko, c'est avancer sur la Voie. Nous ne pouvons pas le réaliser seuls. Les contacts avec un professeur, avec d’autres personnes, leurs conseils, leurs critiques sont indispensables à notre progression.
Nous pouvons écouter beaucoup d'avis, bien réfléchir longtemps, mais finalement c'est par nous même que nous devons avancer, sans hésiter. Chacun est responsable de son propre keiko.
Maître MURAKAMI lui-même disait que c'était ses élèves qui étaient "son professeur". Il ne croyait pas du tout que lui seul comprenait tout et que tout venait de lui. Il travaillait, réfléchissait et ne cessait de s'améliorer. Il nous a donné l'exemple de la Voie à suivre. Il ne s'en prenait pas à nous pour nous dire que nous étions de mauvais élèves même si, je le crois, parfois il devait être un peu découragé par notre faible niveau. S'il a pu progresser c'est aussi grâce à ses nombreux élèves qui l'ont suivi depuis qu'il est arrivé à Paris en 1957.
Je garde une profonde gratitude envers tous ces anciens qui, bien avant nous, se sont efforcés de suivre cette Voie et nous ont permis de pratiquer le karaté de Maître MURAKAMI. Ce sont aussi nos professeurs.
Parfois, lorsque nous travaillons, quand nous pratiquons, un mur incontournable se dresse soudainement devant nous. Ce mur paraît vraiment solide et peut nous tourmenter durablement. C’est dans ces situations difficiles que notre véritable esprit apparaît. C'est à ce moment-là que commence le véritable keiko. Nous pratiquons la Voie du Karaté et dans cette voie il n'y a pas d'impasse.
Mais ce n'est pas une Voie facile. Quand nous avons épuisé toutes les réponses et ressources auxquelles nous sommes habitués, que reste-t-il ?
Lorsque nous ne savons plus vraiment quoi faire, C'est souvent la meilleure situation pour avancer. Dans des situations pareilles, il y a très souvent une très forte tendance à choisir la solution qui nous est la plus facile. C'est dans ces moments là qu'il faut se souvenir de l'enseignement et des paroles du Maître. Ce sont des situations qu'il a très souvent vécues. Il est inutile de se renfermer sur soi et croire qu’on peut toujours tout résoudre tout seul.
S'il y a quelqu'un qui n'a jamais douté ou qui ne s’est jamais inquiété au sujet de son karaté alors, c'est moi qui suis inquiet pour son karaté, je dirais paraphrasant Confucius.
Dans la tradition du Budo, on ne pose pas de question facilement à son professeur. Bien sûr, en Europe nous avons une éducation différente. Cependant, avant de questionner son professeur, l'élève doit s'efforcer lui-même au maximum de répondre à ses questions et de résoudre lui-même ses difficultés.
Nous sommes une Ecole de Budo. Avant que nous soyons nés déjà des gens pratiquaient selon notre Voie.
Nous suivons la Voie que le Maître nous a transmise et il est important de croire en son enseignement.
Cette croyance n'est pas une foi aveugle ni, non plus, de la superstition. Je préfère parler de "I SHIN DE SHIN", de cœur à cœur, d’esprit à esprit, de l'esprit du Maître à l'esprit de l'élève.'
Le véritable enseignement, la véritable communication sont au-delà des paroles.
De plus en plus, je sens la profondeur de l'esprit de Maître MURAKAMI. Et, bien que nous soyons petits à côté de lui, c'est notre responsabilité de continuer sur la Voie qu'il a tracée et rien ne saurait nous arrêter. Dans le Zen, on parle de "PLANTER DES PINS" au sujet de l'éducation des disciples. Le pin pousse droit et est le symbole de la rectitude. Il n'est pas possible de montrer aux autres la Voie si nous ne nous efforçons pas nous même de la suivre correctement. Nos principaux ennemis sont notre orgueil et notre suffisance.
Quiconque croit avoir atteint un point de non-retour est déjà sur la pente du déclin.
Imaginer qu'un jour nous aurons une quelconque illumination ou un quelconque niveau où nous serions en paix sans trop faire d'efforts est un rêve d'enfant.
Quand le soleil atteint son point culminant il s'ensuit inévitablement le déclin. Aussi en karaté quand nous croyons avoir atteint le niveau le plus haut, c'est à ce moment là qu'il faut redoubler d'attention et bien chercher les premiers indices du déclin qui se sont déjà installés.
Il y a un proverbe qui dit: "Celui qui se ménage des jours faciles se prépare des lendemains difficiles".
De même que c'est un rêve d'enfant de vouloir toujours sortir victorieux de n'importe quelle situation.
La tradition du Budo est fertile en histoires qui nous montrent que ne pas perdre ne veut pas toujours dire gagner. On parle aussi souvent de gagner en ayant l'impression d'avoir perdu. Nous devons y réfléchir. On dit souvent des grands hommes que le résultat de leur action n'est connu qu'après leur mort.
Maître MURAKAMI nous a enseigné une Voie basée sur la confiance en soi, sans être ni fiers ni serviles quelles que soient les circonstances extérieures.
Un succès trop rapide est parfois une mauvaise chose pour continuer à progresser.
On dit aussi : "Il faut saisir la racine, pas les branches" : si le travail est correctement fait, si la base est bonne, le résultat viendra de lui-même, naturellement. C'est cela l'action sans but.
Ce qui est important c'est le moment présent. Bien sûr dans la vie nous devons toujours faire des plans, mais notre esprit doit rester concentré sur le moment présent.
"Le keiko d’hier est déjà terminé. Il appartient au passé. Le keiko de demain ce n'est pas important, c'est pour plus tard. Ce qui est important c'est le keiko de ce moment présent ", disait Maître EGAMI.
Comment dois-je pratiquer pour utiliser le maximum d'énergie physique et spirituelle en ce moment présent ? Quelle est la pratique qui me permet de le faire?
C'est cela qui est important. De quoi ont peur les pratiquants qui à l'entraînement s'économisent sans cesse ? Ont-ils peur d'être fatigués ou trouvent-ils que c'est trop dur ?
Mais qui décide de ce qui est trop dur ou pas ? Si nous ne nous efforçons pas de suivre le keiko du moment présent, quand allons-nous le faire ?
Parfois certains élèves ne veulent pas s'efforcer de peur de se casser quelque chose. C'est bien d'être prudent, mais ce n'est pas la peine d'être indulgent envers soi même. Comme disait Maître EGAMI : "Ont-ils peur, à force de devenir souples, d'être transformés en singes ?"
En Karaté-Do on parle souvent de MUSHIN, le non-esprit ou l'esprit vide ou de MUGA, le non-ego, c'est ce qui est au-delà du travail. Ce n'est pas la peine de choisir entre ce qui est facile et difficile.
Accepter et comprendre pourquoi on refuse de s'efforcer c'est s'ouvrir les portes de MUGA. Il faut oublier les cuisses, il faut s'oublier soi même. La Voie de MUGA ce n'est pas la voie de l'autosatisfaction. Ni, non plus, la Voie du renforcement de l'ego.
Le rôle du professeur c'est de diriger l'ego de l'élève vers la voie. Un ego fort n'est pas une mauvaise chose en soi, toute dépend de la direction vers laquelle on le dirige.
La volonté et la détermination sont fondamentales au début de la pratique. Et je dirai qu’au fur et à mesure que nous avançons, cette volonté doit être abandonnée.
Le keiko devient naturel et nous ne savons plus si nous utilisons la volonté ou pas. Il faut aller au-delà, mais pour ça il faut tout d'abord bien utiliser la volonté et nous n'aurons pas non plus conscience de l'abandon de la volonté.
Maître MURAKAMI nous a toujours appris qu'il fallait exécuter les techniques ou les katas comme si notre vie en dépendait. Il disait souvent: "Devant un danger il n'y a pas de repos". Il n'y a pas non plus de deuxième occasion. Je crois en cette Voie. La pression exercée par les autres nous est bénéfique. Si tout nous est trop facile nous ne pouvons pas nous améliorer.
Combien d'entre nous connaissent le vrai trésor que nous avons enfoui en nous-mêmes. Maître MURAKAMI raconte qu’un jour Maître EGAMI lui dit : "MURAKAMI, dernièrement tu as énormément progressé!" Maître MURAKAMI fut complètement surpris mais il réussit quand même à répondre : "Je n'ai rien fait d'autre que de vous imiter, Maître" et Maître EGAMI de conclure: "C'est bien. C'est bien. N'importe quel apprentissage commence par l'imitation". Il est évident que l'on doit chercher à dépasser la phase de l'imitation. Et Maître MURAKAMI, dit que, assez souvent, il s'est inquiété et a douté de sa capacité à sortir de la simple imitation de Maître EGAMI. Cela constitue l'effort d'une vie.
Il n'est pas nécessaire de chercher volontairement les difficultés, mais il ne faut pas les fuir non plus : c'est préférable d'être naturel. Mais si quelqu'un veut suivre la Voie de nos Maîtres EGAMI et MURAKAMI, je lui recommanderai vivement de ne pas s'attendre à suivre une Voie facile.
Etre souple d'esprit ne veut pas dire que nous acceptons n'importe quoi. De même qu'être déterminé n'a rien à voir avec le simple fait d'être têtu.
Pour nous tous qui cherchons la Voie je voudrais terminer en citant ici un poème de Maître Seng Ts'an, qui vécut en Chine au VI e siècle :
"S'il se crée dans l'esprit une singularité
Aussi infime qu'une particule
Aussitôt une distance illimitée
Sépare le ciel et la terre."
Luís de CARVALHO (écrit en 1989)
*La traduction française est désormais disponible
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