Citons Maître Murakami lors d’une interview en 1980 : " Je pense que parmi les Arts martiaux, il n'y a pas l'esprit du Kendo, l'esprit de l'Aïkido, l'esprit du Iaïdo, l'esprit du Karaté mais un seul esprit : celui du Budo. C'est la compétition qui a modifié l'esprit des divers Arts Martiaux et a forgé des différences. ".
Maître Shigeru Egami fut l’élève aussi de Maître Noriaki Inoue. Maître Inoue (1902-1994) était le neveu de Maître Morihei Ueshiba et avait atteint un niveau vraiment extraordinaire. Il influença profondément Maître Egami. A tous je conseille l’excellent livre d’interviews réalisé par S. Pranin " Les Maîtres de l’Aikido " (ed. Budo-Tredaniel).
Dans les années 30, Maître Ueshiba cherchait un successeur à son école et son choix se porta sur un kendoka de haut niveau qui n’avait jamais pratiqué d’aikido. Il s’agissait de Maître Nakakura. Il s’est marié à la fille de Maître Ueshiba et a pris le nom de Morihiro Ueshiba. Cette tradition " d’adopter " un successeur qui change alors son nom de famille était chose courante au Japon. Ce qui est intéressant c’est que Maître Ueshiba affirma à ce moment là: "Il y a plus de similitudes entre l’Aikido et le sabre, qu’entre l’Aikido et le Judo ". Ceci, pour un néophyte n’est pas évident du tout.
Je ne suis nullement qualifié pour parler de Kendo, Aikido ou Iaido. Il faut aussi se garder d’un certain esprit qui existe surtout en occident qui veut faire des parallèles entre tout. A chaque fois que nous entendons quelque histoire, nous disons : " Ah oui ! Ca existe chez nous aussi " ou " oui, oui, je connais ça aussi " au risque de voir le Maître de Zen continuer à servir le thé quand la tasse déborde déjà…
Quand on nous parle de Budo, de la Voie, alors il n’y a pas de place pour des différences techniques ou autres. Ces paroles doivent nous toucher au plus profond. Lao-Tseu dans l’incontournable Tao-Te-King (Livre de la Voie) dit : " quand l’homme supérieur entend parler du Tao (Voie) il fait le possible pour le pratiquer ". Comme pour un vrai diamant et un faux diamant il est important de reconnaître immédiatement les paroles de ceux qui ont " compris " la Voie. Cette intuition est primordiale.
Mais souvent l’homme manque d’intuition. Notre éducation est cérébrale et nullement intuitive. L’enseignement du Budo, depuis l’époque Tokugawa (longue période de paix au Japon de 270 ans de 1602 à 1868), était un enseignement qui s’adressait plus au subconscient, au corps, une éducation par la pratique. Dans cette voie d’unité avec l’univers le maître parle peu, l’éducation du corps vise le subconscient, tant il est vrai que la majorité de nos actions sont dictées par notre subconscient plutôt que par une raison logique.
De nos jours, il est rare de voir des pratiquants qui " vident " leur esprit. Qui ont l’esprit " sunao¹ ". On veut bien pratiquer, apprendre des techniques, appendre à se défendre, mais on veut bien garder " un peu d’égo " juste au cas ou. Nous autres occidentaux sommes comme ça. Même les japonais de nos jours sont très occidentalisés. La différence, je trouve, est que les japonais, on gardé plus un esprit de remerciement et honorent plus leur professeur et les enseignements transmis. Esprit de remerciement et d’expression de ce remerciement.
Je dis " expression de remerciement " car il y a beaucoup de personnes qui disent : "je pense merci, mais je ne le dis pas tout le temps". Mais ce genre de personnes s’il se trouve devant un assassin avec un pistolet dira certainement : " Non, ne me tuez pas ". Les latins que nous sommes sont assez enclins à ouvrir la bouche pour protester ou pour nous justifier mais rarement pour remercier. Mais dans les deux premiers cas on exprime haut et fort ses convictions alors que pour le troisième on dit se contenter de penser…
Il y a même des pratiquants qui des années saluent le dojo et font le salut en seiza sans vraiment réfléchir au sens de ces actes. Sans esprit de remerciement, pour tout ce qui nous arrive, positif ou négatif, on est dualiste et on ne peut pas pénétrer la voie. C’est pourquoi notre chemin dans la Voie est difficile et semé d’embûches. Mais le pratiquant de la Voie, plus c’est difficile, plus il se réjouit. Il accepte tout et cherche comment avancer, sans jamais faire de reproches aux autres. Le plus notre chemin sera bardé de difficultés, le plus notre esprit s’approfondira. Si nous n’avons pas un minimum de bon sens et d’intuition nous serons découragés, voire submergés par les difficultés.
Maître Ueshiba disait " mon aikido est 80% atemi² et 20% projections ". De même le Shotokai qui nous a appris Maître Murakami est plus proche de l’aikido et du sabre que de la plupart des autres écoles de Karaté, surtout il y a très peut de rapports avec le sport et la compétition. Et à chaque fois je sursaute quand on me traite de "sportif ". Souvent les karatékas d’autres écoles se comprennent bien entre eux mais quand ils voient du Shotokai il sont un peu perdus.
Pour revenir aux articles que nous publierons sur les différents Budo il y a de véritables trésors que je vous conseille de lire et relire.
Masakatsu agatsu – " La victoire véritable et absolue est la victoire sur soi même ".
Dans un monde tel que le notre, en proie à la violence, aux conflits de toute sorte, on peut penser que ce sont des paroles de doux rêveurs. Mais il ne faut pas oublier que le Budo fut développé par des Maîtres qui ont souvent vu la mort de près avant de pouvoir conclure " Tout est harmonie dans l’univers. Il n’y a pas d’ennemi ".
Luís de Carvalho
(3 septembre 2005)
¹ Sunao – Mot difficile à traduire qui est un mélange de douceur, obéissance. On suit sans se poser de questions, sans arrières-pensées.
² Atemi – Coups portés sur le corps. (tsuki, shuto, etc)
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