Voler le karaté

   Que voulait dire Maître Shigeru EGAMI lorsqu’il s’adressa en ces termes à Maître MURAKAMI : "MURAKAMI1, quand est-ce que tu as volé mon karaté ?"


   Pour comprendre le sens de ses paroles, dans lesquelles le terme "voler" n’a pas du tout cette connotation péjorative ou négative telle que nous le ressentons en France, il faut par exemple lire ce qu’en disait Maître Yoshio SUGINO (1904-1998), Maître de sabre de l’école Katori Shinto Ryu2 : "Au contraire des actuels professeurs du Hombu Dojo, Ueshiba Sensei enseignait en montrant à vitesse normale chaque mouvement une seule fois. Il ne donnait aucune explication détaillée. Même quand nous lui demandions de refaire un mouvement, il nous disait : "Non, non, technique suivante !". …….. Finalement, nous en sommes venus à "voler" ses techniques. …… En d’autres termes, copier est une forme d’apprentissage. Vous observez les déplacements et les gestes de votre professeur avec tout votre esprit et toute votre attention, c’est ce qui s’appelle lui "voler" les techniques."3


   "Voler" une technique correspond donc à comprendre, assimiler quelque chose qui n’a pas forcément été explicitement ou intentionnellement montré ou démontré.


   Nous pouvons mettre en relation cet état d’esprit avec la notion de Mitori Keiko. Mitori Keiko peut être traduit par "pratiquer avec le regard" ce qui permet de "voler la technique avec ses yeux".


   Mitori signifie : percevoir, comprendre en profondeur.


   Nous pouvons donc imaginer que Maître EGAMI voulait dire : "Tu as compris mon karaté alors que tu n’en as vu qu’une petite partie et à partir de ce que tu as vu, tu as perçu et compris l’essence de mon karaté."


   C’est un état d’esprit difficile à rencontrer aujourd’hui notamment dans le monde occidental où la profusion d’explications nuit à la recherche personnelle et à la compréhension intuitive de ce qui est enseigné par les professeurs.


   Maître SUGINO continuait ainsi : "De nos jours, les élèves sont très lents pour apprendre, même quand les enseignants expliquent. Ils prennent leur étude trop à la légère. Dans l’ancien temps, nous étions beaucoup plus sérieux."


   Maître MURAKAMI avait cette rare capacité de comprendre et de sentir instantanément une situation qu’il découvrait.


  



Pierre-Jean BOYER   

 

 

 

1  En 1976, lors du premier voyage de Maître EGAMI en Europe.


2  Maître Yoshio SUGINO fût également l’instructeur des combats au sabre lors du tournage du film d’Akira KUROSAWA, Les sept samouraïs.


3  Les Maîtres de l’Aïkido, élèves de Maître UESHIBA, période d’avant-guerre. Interviews recueillies par Stanley A. PRANIN. BUDÔ CONCEPT & GUY TREDANIEL EDITEUR.

Contact | Plan du site | Politique vie privée

© 2004-2015 Mushinkai - 無心会 (Tous droits réservés)