En 1983 le Maître Tetsuji Murakami a été invité par la Fédération Marocaine de Karaté a y diriger un stage. A la suite de cet évènement il a répondu à un questionnaire écrit.
1/ Voulez-vous s'il vous plaît vous présenter ?
Je suis né le 31 Mars 1927 à SHIZUOKA (250 Km de TOKYO). J'ai commencé le Karaté avec Maître MASAJI YAMAGUCHI, qui pratiquait, le Shotokan en 1947. J'ai aussi fait du Kendo, de l'Aikido et un peu de lai. En Novembre 1957, je suis arrivé en FRANCE. A partir de 1959, j'ai commencé à donner des cours à l'Etranger. D'abord en ALLEMAGNE, en ANGLETERRE et en ITALIE. Un peu plus tard, je suis allé en YOUGOSLAVIE, en SUISSE et au PORTUGAL. J'ai fait ensuite mon premier stage au MAROC et en ALGERIE.
2/ Comment êtes-vous venu au Karaté ?
Dans la province japonaise, avant la 2 ème guerre mondiale et juste après, les clubs de Karaté étaient assez fermés. Le Karaté constituait encore quelque chose de très mystérieux. Beaucoup de légendes circulaient à son sujet, notamment sur son efficacité en combat. J'ai voulu savoir ce qu'il en était réellement et je suis allé dans le club de ma ville.
3/ Avez-vous travaillé avec Maître Funakoshi ?
Comme j'habitais loin de TOKYO, je n'ai malheureusement jamais travaillé avec Maître FUNAKOSHI.
4/ Quels sont vos seniors ?
J'ai eu deux Maîtres. Le premier quand .j'étais au JAPON et avant que je ne vienne en FRANCE. Il s'agit de Maître YAMAGUCHI qui dirigeait le seul club de Karaté qui existait à SHIZUOKA à l'époque.
Le second, je l'ai rencontré lors de mon retour au JAPON après 10 ans passés en EUROPE. Il s'agit de Maître EGAMI qui m'a fait découvrir le SHOTOKAI et que j'ai suivi depuis cette date.
5/ Vous êtes passé du Shotokan au Shotokaï. Pourquoi ?
La nouvelle méthode d'entraînement que pratique actuellement le NIPPON KARATE-DO SHOTOKAI n'est en fin de compte que le développement du KARATE qui était pratiqué au SHOTOKAN.
Le SHOTOKAN était le dojo de Maître FUNAKOSHI, appelé aussi HONBUDOJO -Dojo Central- II est le Siège de l'organisation SHOTOKAI qui a été créé par Maître FUNAKOSHI.
Je ne considère donc pas notre méthode actuelle comme quelque chose d'autre que l'enseignement de Maître FUNAKOSHI.
Maître EGAMI a écrit « Suivre la voie tracée par notre Grand Maître FUNAKOSHI est certes difficile mais la poursuivre en essayant d'aller plus loin l'est encore plus.
Après avoir séjourné une dizaine d'années en FRANCE je suis retourné deux mois au JAPON, et je me souviens encore très bien aujourd'hui quelle fut ma surprise et le coup de foudre que j'ai ressenti en face de la nouvelle méthode d'entraînement qu'était en train de développer Maître EGAMI. J'ai été tout de suite intuitivement convaincu qu'il existait dans ce KARATE tout ce que j'avais vaguement cherché et que je cherchais encore. Fort de cette conviction, je m'initiais petit à petit à cette voie là.
6/ Quelle est la situation actuelle du Shotokaï après la mort de Maître Egami ?
Depuis la mort de Maître EGAMI (en 1981), Maître HIRONISHI, son ami depuis l'époque où ils étaient à l'Université ensemble, continue de s'occuper de SHOTOKAI.
Déjà après la guerre, tous les deux étaient responsables de l'organisation SHOTOKAI auprès de Maître FUNAKOSHI.
En 1957, à la mort de celui-ci, tous les deux lui ont succédé à la tête de l'organisation SHOTOKAI. Maître HIRONISHI en tant que Président s'occupait surtout de la partie administrative Maître EGAMI, avec le titre d'Instructeur en Chef était le responsable technique et le véritable chef spirituel.
Vu la dimension de Maître EGAMI, il n'a pas de successeur actuellement. Mais plusieurs de ses anciens assistants continuent d'enseigner et l'organisation SHOTOKAI continue sa tâche sous la
Présidence de Maître HIRONISHI.
7/ Quelle place occupez-vous par rapport au Shotokaï de Tokyo ?
Je suis le Délégué du SHOTOKAI en EUROPE officiellement mandaté par l'organisation SHOTOKAI du JAPON.
C'est pourquoi, je suis reconnu comme le seul représentant SHOTOKAI auprès des Fédérations Nationales Française, Italienne et Portugaise de Karaté.
8/ Comment pratiquez-vous personnellement aujourd'hui ?
Etant donné mon âge, il est important pour moi de garder la souplesse du corps. Donc, presque tous les jours je fais des assouplissements au Dojo et à la maison. Bien sûr, il m'arrive assez souvent de travailler avec mes élèves.
Et je fais aussi pas mal de SEIZA chez moi (des séances d'environ une heure de seiza).
9/ Est-ce que vous pratiquez le Zen et le Taïchi ? Et est-ce que ces deux disciplines sont nécessaires pour un Karatéka ?
Je ne nie pas mon envie de pratiquer le Zen dans l'avenir, mais jusqu'à maintenant je n'ai jamais pratiqué ni le Zen, ni le Taichi.
On peut se demander si de par le développement rapide du Karaté après la 2 ème guerre mondiale, quelques éléments précieux n'ont pas été oubliés.
Car si le Karaté, tout en étant censé avoir atteint un très haut niveau grâce aux efforts incessants des nombreux Maîtres du passé, devait avoir quelque chose à apprendre d'autres traditions, cela signifierait que l'abaissement de sa qualité est dû à notre négligence et à notre paresse.
Ce qui pourrait manquer au Karaté n'existe pas ailleurs. Tout est dans le Karaté. Chacun doit avoir cette notion à l'esprit et chercher à la développer. Il existe en Japonais une expression KOKORO N0 SHISEI que l'on peut traduire par "Attitude, disposition de l'âme et de l'esprit". Nous devons tous, nous qui nous vouons au Karaté, réfléchir sur cette disposition de l'âme et de l'esprit avec laquelle nous nous engageons dans le Karaté. Cela dépend de notre coeur, de notre attitude vis à vis du Karaté.
Ce que l'on appelle le Zen nous aide à traiter nos problèmes spirituels. Il ne peut apporter quelque chose qu'aux pratiquants arrivés à un très haut niveau technique et encore à condition de le pratiquer sérieusement. Quant aux autres, il ne faut pas qu'ils espèrent par la pratique du Zen progresser en Karaté s'ils négligent leur entraînement de Karatékas.
10/ Pour revenir au Maroc, vous êtes le premier Maître japonais à être venu dans notre pays, voulez-vous-nous en parler ?
J'ai dirigé mon premier stage au MAROC en Février 1962. Ce stage qui avait réuni une cinquantaine de participants, se déroulait chez Monsieur GUYETAND qui était professeur au Karaté Club du MAROC à Casablanca.
11/ Pourquoi n'avez-vous pas continué à venir ?
L'année suivante. Monsieur GUYETAND a voulu organiser un nouveau stage avec moi mais un empêchement ne m'a pas permis de m'y rendre. Comme Monsieur HARADA se trouvait alors en EUROPE, je lui ai demandé de me remplacer. Depuis lors, comme j'avais pas mal de travail je laissais Monsieur HARADA s'occuper du MAROC. Deux professeurs eussent été de trop pour le nombre de pratiquants qu'il y avait au MAROC.
12/ Vous avez dirigé un stage National à Rabat en septembre 1983. Pouvez-vous nous en faire un bilan ?
Le stage que j'ai dirigé à RABAT était un peu spécial. Du fait de la disparité des participants, il m'a été difficile d'organiser un programme comme je l'aurais souhaité. D'ailleurs, la méthode d'enseignement du SHOTOKAI étant un peu spéciale dans le monde du karaté, quelques uns ont dû être un peu surpris et perplexes.
J'ai été ravi du succès remporté par ce stage auprès des karatékas marocains, même si leur grand nombre a rendu la salle exiguë.
J'ai d'autre part, été un peu étonné que le style japonais du salut n'ait pas été respecté. Mais étant moi-même croyant je peux comprendre cette attitude. On doit réfléchir pour résoudre ce problème.
Quoi qu'il en soit et compte tenu de la participation de diverses écoles, l'atmosphère fut satisfaisante et j'ai ressenti l'ardeur et le désir de surmonter les difficultés.
La participation de tous jusqu'à la fin du stage fut pour moi quelque chose de très positif et très agréable.
Grâce à la jeunesse pleine de force de votre Fédération, tout s'est déroulé pour le mieux. "Il ne faut pas perdre 1'enthousiasme du débutant" dit-on en Karaté. J'espère que la Fédération Marocaine ne perdra jamais cet enthousiasme.
13/ Comment trouvez-vous les pratiquants marocains ?
Je n'ai fait qu'un seul stage au Maroc récemment, il m'est donc un peu difficile de porter un jugement de valeur sur les karatékas Marocains.
14/ Quels sont les critères dont vous tenez compte lors d'un passage de grade ?
D'une façon générale, les critères dont je tiens compte sont :
- le rythme : (par exemple, le respect de la différence entre les passages lents et les passages rapides dans certains katas).
- la souplesse : J'entends par souplesse, élasticité du corps, c'est-à-dire, la différence entre la contraction et la décontraction.
- énergie : On doit sentir l'énergie dans toutes les techniques aussi bien d'attaque que de défense.
Ces critères sont appliqués aux trois formes de travail qui sont le KIHON, le KUMITE, et le KATA.
Bien sûr le niveau technique demandé pour le OI ZUKI d'un premier Dan ne sera pas le même que celui que l'on exigera d'un troisième Dan. Mais expliquer ceci avec des mots n'est pas facile.
En résumé :
- Un premier Dan doit avoir compris toutes les techniques élémentaires de Karaté. Il doit être capable non seulement de les appliquer mais aussi de les enseigner. Cela nécessite au minimum 4 années de pratique.
- Les 2ème et 3ème Dan doivent être capables d'exécuter correctement des enchaînements plus compliqués. Ils doivent aussi être capables d'adapter l.es techniques aux changements de situation.
Au cours du dernier stage à RABAT, j'ai jugé les pratiquants d'autres écoles. J'avais déjà pu au cours du stage juger approximativement le niveau du 1er Dan. On peut à partir de là et par déduction fixer le niveau des autres grades.
Ce qui compte en outre, c'est de saisir une sorte d'invariabilité qui apparaît généralement quelles que soient les différences de techniques ou de formes de chaque école. D'ailleurs, on peut, quel que soit le style, voir le niveau de maturité atteint par les pratiquants. De toutes façons, on n'est jamais trop attentif lors de l'examen des pratiquants qui n'appartiennent pas à son style.
15/ Quels conseils pouvez-vous donner aux pratiquants ?
En général, le corps est trop rigide et les techniques trop petites. Pour la compétition on a inévitablement tendance à raccourcir les techniques et le mouvement du corps.
Je vous conseille donc d'essayer lors de l'entraînement d'effectuer les mouvements les plus amples possible.
Il faut aussi apprendre à vous comporter de la façon la plus naturelle possible quelle que soit la situation dans laquelle vous vous trouvez. Les muscles doivent être utilisés pour pratiquer des attaques ou des défenses puissantes. Les muscles ne sont pas faits pour être contractés ou crispés. Entraînez-vous afin de pratiquer les techniques les plus puissantes possible à partir de mouvements les plus souples possible.
Il faut que vous réfléchissiez à ce que vous faites. Vous pourrez ainsi comprendre et découvrir vous-mêmes le pourquoi des techniques. Si je vous demande de ne pas être contracté quand vous travaillez il y a des raisons à cela. Interrogez-vous sur tous ces points sans jamais perdre de vue que seule une longue expérimentation permet une bonne compréhension.
Par ailleurs, le KIHON et le KUMITE sont devenus trop mécaniques. Dans le travail à 2 (IPPON-KUMITE par exemple) l'élément le plus important est la concentration. Elle seule vous permet de trouver l'harmonie avec votre partenaire.
Ne vous attachez pas trop à l'apparence extérieure. Essayez plutôt de vous harmoniser avec le mouvement intérieur de votre partenaire. Vous commencerez alors à comprendre l'essence même du Karaté.
Le plus important est le caractère éducatif du Karaté. L'évolution technique doit aller de paire avec l'évolution de la personnalité sinon il y a un risque de déséquilibre.
D'ailleurs, il arrivera un moment où l'évolution technique ne sera plus possible s'il n'y a pas eu en même temps une évolution humaine.
C'est pourquoi, on peut dire que la pratique du Karaté ne s'arrête pas à la porte du Dojo.
Bien sûr l'entraînement est important, mais votre façon de vivre, que ce soit en famille ou dans la société, joue aussi un grand rôle dans votre évolution personnelle.
Dans cette optique, le but du Karaté est de vous aider à devenir un homme digne de ce nom, capable en toute circonstance de penser et d'agir correctement.
Tetsuji Murakami
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