Un jour où Maître EGAMI était en Europe, il me demanda : "Quand as-tu "volé" mon Karaté ? "Cette question était brutale et je n'avais pas pensé que j'avais le talent nécessaire pour le voler. Donc, après avoir hésité un peu, j'ai essayé de lui répondre : "Oui. J'ai imité simplement votre Karaté..." Le Maître m'a interrompu en m'expliquant : "Ah! Oui, oui. C'est déjà bien parce que tout commence par l'imitation." et il m'a expliqué sa nouvelle méthode d'entraînement.
Depuis ce jour, j'ai eu des doutes sur la capacité que j'avais à sortir de la simple imitation de mon Maître. Je me suis d'ailleurs demandé depuis quand j'avais commencé à l'imiter en France. C'était en 1967 en revenant d'un séjour de deux mois au Japon que j'ai commencé à chercher ce nouveau Karaté. C'était une recherche faite en tâtonnant, dans les ténèbres, entouré d'objets très fragiles : je ne savais pas du tout par quelle direction démarrer. Au début, j'avais beaucoup d'inquiétude car je devrais probablement chercher pendant plusieurs années, mais après...qu'allais-je trouver? Et si je m'apercevais que cela n'était pas bon, que devrais-je faire?
Quand même, après avoir bien réfléchi, j'ai décidé de parier sur cette idée. Parce que j'ai senti vaguement que, dans ce Karaté, se trouvait quelque chose que j'étais en train de chercher moi-même.
Tout d'abord, le corps doit être souple et tout à fait naturel et le tsuki doit être très coulant. Dans la pratique, j'essayais moi-même et quand je pensais que j'avais trouvé, je changeais le tsuki de mes élèves. J'ai commencé comme cela, lentement. Les gens, qui ont pu garder le contact avec moi, ont pu changer leur Karaté petit à petit mais sûrement, tandis que ceux qui habitaient loin et qui ne pouvaient pas rester en contact avec moi n'ont pas pu le faire. J'ai pensé que c'était raisonnable d'agir ainsi car auparavant j'expliquais les choses d'une façon complètement différente. Jusqu'à hier encore, je disais : "Bloquez les aisselles plus fort" ou encore : "Plus fort, encore, toute la force" et maintenant : "Enlevez la force", tout juste comme si je ne demandais de teindre le Karaté-gi en noir ! Mais pour les vêtements, on peut acheter de la teinture tandis que pour notre corps ce n'est pas du tout la même chose.
En plus, je disais qu'il fallait oublier le Karaté d'hier et cela paraissait vraiment n'importe quoi.
Cela peut paraître bizarre que je trouve que le Karaté pratiqué hier, soit devenu complètement obsolète. Au fur et à mesure que nous avancions, nous perdions des collègues. Je ne savais pas quoi faire et je me sentais bien seul. Voilà, c'était comme ça. Mais je n'ai pas regretté ce nouveau type de pratique et je me suis creusé la tête ensuite pour la réorganisation.
En 1967, l'examen national de Dan est établi. En 1969, l'examen national est devenu obligatoire pour les professeurs de Karaté. Il s'agissait de la division en Dans réalisée auparavant par la Fédération et qui était maintenant reconnue par l'Etat. C'est elle qui jugeait. L'examen pour être professeur a été organisé par le Ministère des Sports. Les professeurs qui possédaient des Dans pouvaient, après la reconnaissance par l'examinateur, le devenir officiellement. Sans cette reconnaissance, leur activité n'était pas considérée comme officielle.
Les conditions pour présenter l'examen étaient simplement de posséder des Dans. Ainsi même celui qui n'était que premier Dan a pu devenir professeur si il réussissait l'examen. Les sujets d'examen ne concernaient pas la technique du Karaté mais la théorie, par exemple : pédagogie, secourisme, anatomie (niveau bac) et histoire du sport. Pour cet examen, il n'y avait pas d'exception pour les étrangers : il y a quatre ans tous les professeurs japonais de Karaté qui étaient en France ont reçu l'avis d'examen du Ministère des Sports et nous avons même effectué une démonstration de Karaté devant un jury. Malheureusement, pour la première fois et à cause de la langue, seuls deux professeurs japonais ont réussi sur douze. Cependant, l'année suivante, tous ceux qui restaient ont réussi. Quant à moi, comme j'enseignais le Karaté depuis longtemps en France, l'examen s'est limité à celui de mes papiers. Si j'avais été obligé de passer l'examen, quel en aurait été le résultat? Cela me fait frissonner... L'examen de Dan de la Fédération a été simplifié, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de jury pour chaque école mais chaque candidat doit être jugé par un jury composé de représentants de chaque école.
Jiyu-Kumite faisait partie de l'examen. Après cet examen, il a fallu participer à plusieurs compétitions et avec un certain nombre de points il était possible d'augmenter son nombre de Dans. Depuis que je pratique le Keiko Shotokaï de Maître EGAMI, j'avais complètement abandonné Jiyu-Kumite et à cause de cela il n'a pas été possible de trouver un accord sur ce système d'examen. J'admire les élèves qui ont supporté pendant assez longtemps de voir leurs Dans bloqués. Naturellement, pendant ce temps-là nous avons bien négocié mais c'était le haut de la vague de la compétition.
En 1972, à Paris, la Fédération Mondiale de Karaté-Do (présidée par M. SASAGAWA) a organisé les seconds Championnats du Monde en France. Cela a été un succès. Cette année-là l'équipe japonaise a été battue par la France. C'était à cette époque-là. Il n'a pas été possible d'obtenir satisfaction par les négociations.
Un jour par un concours de circonstances, j'ai envoyé un de mes élèves passer l'examen de ceinture noire : c'était dans la région de Bordeaux. Quelques jours après, il me téléphone : "J'ai raté!". J'ai pensé que c'était tout à fait possible mais je l'ai laissé parler. "Qu'est-ce que c'est cette danse ? ", lui a demandé un des membres du jury. "Ah bon, tant pis! Venez à Paris passer l'examen", lui ai-je dit. Je ne sais pas si ce membre du jury a trouvé que c'était une danse mais j'ai trouvé cela exagéré.
Normalement dans tous les pays d'Europe les calendriers des Fédérations sont occupés par les compétitions : compétitions de ligue, de département, de France, championnats internationaux, etc...
Nous, Shotokaï, n'avons pas besoin d'y participer car nous ne pratiquons pas le Jiyu-Kumite : c'est tout à fait normal si on y réfléchit bien.
Nous ne l'avons pas voulu mais on ne peut pas nier que nous n'avons pas pu nouer des relations avec des gens en dehors de notre association. Nous n'avons pas d'amis ni de connaissances au sein de la Fédération, nous n'avons donc pas eu l'occasion d'en parler avec eux. En conséquence, nous ne les connaissons pas et ils ne nous connaissent pas.
Nous n'avons pas pu faire comprendre ce que nous faisions et pourquoi nous nous entraînions ainsi. Nous participons quand même à la compétition des ceintures noires, discrètement, et nous y montrons notre "bizarrerie", au moins pour les gens de l'extérieur. C'est tellement étrange pour eux qu'ils cherchent quelque chose qui leur soit compréhensible en comparant avec leur propre Karaté. Quand ils ont enfin l'impression qu'il n'y a rien dedans, ils disent impatiemment : "Qu'est-ce que c'est que cette danse ? ". Je crois que le Shotokaï est trop difficile à comprendre pour les gens extérieurs et c'est pourquoi nous nous heurtons à des réactions de refus.
C'est Maître EGAMI qui m'a conseillé de suivre l'école Shotokaï et je fus tellement surpris en regardant leur keiko pour la première fois que je n'ai pas compris ce qu'ils faisaient, tout comme le jury dont j'ai parlé. Bon, je vais changer de sujet.
Depuis plusieurs années, je demande à mes élèves d'établir des relations avec la Fédération pour avoir l'occasion de discuter ensemble. Je crois que nous avons eu de bons résultats récemment. Nous avons un membre qui est secrétaire de la Ligue de Lyon depuis deux ans : quand je suis passé à Lyon l'autre jour, le Président de la Ligue (Wado-Ryu) m'a dit que celui-ci l'aidait beaucoup à cause de sa forte puissance de travail.
A Paris, j'ai un élève qui est arbitre. Je lui avais proposé autrefois de s'intéresser à l'arbitrage et il en avait été d'accord car cela lui plaisait et il a commencé. Nous, Shotokaï, ne participons pas aux compétitions et donc il arbitre toujours des karatékas d'autres écoles. Grâce à cet arbitrage, il voyage beaucoup dans les autres régions et s'est fait des amis à la Fédération et il m'a précisé que l'opinion sur le Shotokaï n'est pas aussi mauvaise qu'avant. J'ai été content d'entendre cela.
J'ai trouvé que les représentants des autres associations commençaient à nous montrer de l'amitié et j'ai donc accepté de participer ensemble à de l'arbitrage malgré l'absence de compétition : je ne crois pas que j'ai eu tort. Je ne demande presque rien mais je ne veux pas provoquer de réactions de rejet contre nous. Si ces réactions n'existent pas, alors nous pouvons progresser dans notre voie sans sentir d'obstacles de la part de gens extérieurs.
Cette année, c'est la quatrième fois que notre groupe organise un passage de grades à Paris au mois de Juin. Les pratiquants vont venir de Marseille, Bordeaux, Lyon, Toulouse, Nancy, Dijon, etc...
Cela commence par le Ki-Hon, Kumite et ensuite viennent les Katas. L'examen se fait sur ces trois critères, mais nous insistons surtout sur l'aspect technique. Le minimum d'années nécessaires pour présenter cet examen est supérieur d'un an à celui des autres associations. Nous devons supporter cette petite règle.
Enfin, la F.F.K.A.M.A. a accepté notre refus de faire Jiyu-Kumite, refus exprimé depuis longtemps. Elle l'a donc supprimé de l'examen Shotokaï. Je crois que nous avons bien supporté cette situation.
J'admire l'entêtement dont nous avons fait preuve jusqu'ici. J'ai été tellement content. Mais après réflexion, je ne peux pas l'exprimer franchement car cela est peut être dû au temps qui s'écoule, au fait que la compétition à outrance a fait dévier de la vraie pratique, mais enfin tout cela n'est pas grand chose puisque nous en sommes arrivés là.
A suivre...
Tetsuji MURAKAMI
(Traduit du japonais par Nobuo Yamamoto et Luís De Carvalho)
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