Quelques souvenirs sur le Maître Tetsuji Murakami

Xavier Corbin

 

Xavier Corbin

Un entretien avec Xavier Corbin



Q : Tu as commencé à travailler le karaté avec le Maître Murakami en quelle année ?


Xavier Corbin  : En 1963, sur les conseils Pierre Nectoux (qui avait d'abord été mon professeur de Judo). Les premiers pratiquants toulousains de Karaté trouvèrent les stages du Maître beaucoup trop durs et l'individu bien trop exigeant. Bon nombre d'entre eux refusèrent de continuer à se plier à sa dure discipline et quittèrent le Club du Capitole, que je dus faire repartir à zéro, avec l'aide d'Edmond Ragot.


Q : Pourquoi es-tu resté avec lui ?


Xavier Corbin  : Pour ma part, j'étais très fortement impressionné par la puissance que dégageait ce petit homme d'un mètre soixante neuf et cinquante deux kilos. Je me disais que sa technique devait être hors du commun, étant donné ce qu'il parvenait à faire avec un si petit gabarit, face à des gros durs. Mais la dureté des entraînements, le petit nombre de pratiquants et la faiblesse des finances du club, tout cela fit qu'il nous fut impossible de faire revenir le Maître pendant trois ans.

 

 

Q. Le choc n'a pas été rude, après ces trois ans ?


Xavier Corbin  : En 1966, trois ans après, lorsque je pris la responsabilité de la section Karaté du Club du Capitole (suite au départ de Pierre Nectoux pour raisons de santé), je repris contact avec deux des assistants du Maître, qui étaient vietnamiens (Nguyen Te Tam et Bui Xuing Quang). Ils m'ont assuré que sa pédagogie avait évolué, qu'il était moins dur avec les élèves. Ils ont accepté de venir faire un stage à Toulouse, en 1967, bénévolement, pour préparer les toulousains à recevoir l'enseignement du Maître, dans son nouveau style, le Shotokaï.Quand nous sommes revenus

Maître Murakami et M. Nectoux

Maître Murakami et M. Nectoux

pour la première fois à Paris, pour le stage des instructeurs, au mois de mai, après le salut, il m'a demandé de me lever devant tout le monde. Je fus très surpris car, en fait, c'était pour me féliciter d'avoir continué à travailler tout seul le Karaté pendant ces trois années d'absence. J'étais très gêné car il faisait rarement des compliments.

 

 

Q. Tu as été chargé pendant très longtemps de l'organisation des stages du Maître à Toulouse. Je suppose que cela t'a permis d'avoir une relation privilégiée avec lui ?


Xavier Corbin  : J'étais à la fois responsable de mon club et de l'organisation des stages : il fallait l'accueillir, le conduire à l'hôtel, le recevoir chez moi. Il avait pris ses habitudes à l'Hotel Printania, dont il connaissait les patrons. Il était un fidèle du restaurant vietnamien de la rue Bouquières, tenu par Monsieur Bui.

   Je prenais les repas avec lui, le soir, après les entraînements, puis je le conduisais à l'hôtel, à une heure très avancée de la nuit. Comme il avait besoin de très peu d'heures de sommeil et qu'il aimait se coucher très tard, je restais avec lui jusqu'à ce qu'il me donne la permission de me retirer, suivant la tradition japonaise.

   Je tenais beaucoup à ces moments passés avec le Maître. Comme les stages duraient toute une semaine, avec entraînement tous les soirs, c'était, certes, très dur de reprendre le travail le lendemain à huit heures du matin, après une nuit de discussions, mais ce fut pour moi une expérience très formatrice sur le plan humain.



Q : Il n'était donc pas aussi terrorisant que certains ont voulu le faire croire :


Xavier Corbin  : Ces discussions de nuit furent l'occasion de nombreuses confidences. Autant il était extrêmement sévère et peu loquace sur le tapis, autant, en privé il parlait volontiers de sa conception de la vie, de ses impressions. Nous avons parlé d'histoire, de méditation, de yoga, de l'émergence de l'éveil, de la manière de faire le vide.

    Nous parlions également de religion. Comme beaucoup de maîtres d'arts martiaux, il pensait que chacun pouvait se réaliser avec ses propres croyances, sans forcément devenir bouddhiste.

    Par ailleurs, c'était un homme capable de se dominer dans les actes de la vie courante, mais très nerveux : il fumait énormément, buvait beaucoup de café. Pour peu qu'on y soit un peu sensible, on sentait que le ki lui sortait par tous les pores. C'était une véritable pile électrique, bien que toujours maître de lui-même.

    Pour l'anecdote, à la fin d'un stage, nous lui avons offert un petit chien, plutôt que les inévitables pipes et kimonos, dont ses placards devaient regorger. C'était une idée de ma femme. Ce chien l'a suivi dans tous les stages de Sérignan.


Maître Murakami à Toulouse (années 60)

Maître Murakami à Toulouse (années 60)

 


Q : Lorsque tu as commencé à pratiquer le Karaté avec le Maître Murakami, il enseignait le Shotokan et non pas le Shotokaï :


Xavier Corbin  : A ses débuts en France, en 1957, le Maître Murakami était en contact avec Pierre Nectoux. Il travaillait pour Plée à Paris. Il s'exprimait au moyen d'un mélange d'anglais et de français. C'était un Japonais projeté dans un milieu qui lui était complètement étranger.

   Il a quitté Plée parce qu'il manquait d'autonomie avec lui. Ensuite, il s'est inscrit à l'Alliance Française, à Paris, pour prendre des cours de Français (où il a, par ailleurs, connu sa seconde femme).

   Lorsque j'ai commencé à pratiquer le Karaté avec lui, il enseignait le Shotokan : il était armé d'une très grande exigence technique, doublée d'une grande rigueur morale. Ses entraînements étaient extrêmement durs. Les ceintures noires avaient droit à de sérieuses volées, qui sont parfois allées jusqu'au KO. C'était le mode de sanction habituel, dès qu'on ne faisait pas ce qu'il demandait. Dans ses stages, les pratiquants étaient peu nombreux, ce qui lui permettait d'être sur leur dos tout le temps et de les pousser à faire des progrès rapides.



Q : Comment as-tu ressenti, en tant qu'élève, l'évolution du Maître Murakami lorsqu'il est passé à l'enseignement du Shotokaï ?


Xavier Corbin  : Sous l'effet de la technique que venait de lui enseigner Shigeru Egami en 1967, la personnalité du Maître Murakami a commencé à se transformer. Grâce à ce travail sur l'énergie interne, les attaques longues et coulées, les positions basses, souples et détendues, toute cette conception du transfert d'énergie dans les coups, tout cela a transformé progressivement non seulement son enseignement mais aussi son comportement.

   Même son apparence a considérablement changé. Au départ, il avait les cheveux très courts rasés sur les côtés, une moustache, les muscles de la mâchoire saillants, les yeux qui projetaient l'énergie.

   Nous avons progressivement vu émerger un homme beaucoup plus adapté à la mode occidentale, je dirais même qu'il est devenu très coquet, avec un visage plus détendu, et il semblait avoir atteint une forme de sérénité. Il fumait beaucoup moins (mais, hélas, il prit cette décision trop tard). Non seulement il parlait couramment le Français, mais il s'était passionné pour l'Histoire de France, lisait régulièrement Le Monde, était très au courant de l'actualité et s'intéressait à l'évolution politique du pays.



Q : Il s'est occidentalisé ?


Xavier Corbin  : Ses entraînements contenaient beaucoup plus d'explications, tentant visiblement de mieux faire le pont entre l'Orient et l'Occident. Alors qu'au début, il se contentait de montrer des techniques (et de donner des coups à ceux qui ne les mettaient pas en application), il a progressivement introduit des explications, des images, pour que les occidentaux que nous sommes puissent mieux comprendre sa démarche.

   Il a conservé son exigence, mais ses entraînements sont devenus moins durs et plus adaptés : la transformation du style vers plus de souplesse allait aussi vers plus de profondeur, de décontraction et d'économie d'énergie. Son travail a beaucoup plus porté sur le rejet du moi superficiel, de l'ego, pour aller vers une recherche de l'identité plus profonde.

   Il n'a pas été forcément compris de tous les pratiquants. Je me souviens d'un pratiquant auquel il disait « Il faut laisser tomber l'ego » et qui restait interloqué parce qu'il avait compris : « Il faut laisser tomber le Lego. »

   Il a fait un gros effort pour comprendre l'esprit occidental. Même s'il ne trouvait pas les Français toujours suffisamment responsables (notamment dans l'organisation des clubs), il appréciait l'ouverture de l'esprit français et n'envisageait plus de revenir vivre au Japon. Il a souhaité être enterré en France.



Q : Le passage du Shotokan au Shotokaï n'a donc pas été une rupture ?


Xavier Corbin  : Lorsque le Maître Murakami a rencontré Shigeru Egami au Japon (il est revenu au Japon au bout de dix ans, en 1967, lors de la mort de son père), il dit avoir trouvé en Egami ce qu'il avait toujours pressenti et recherché dans le Shotokan : absorber l'attaque de l'adversaire, anticiper le geste de l'adversaire, l'accompagner en changeant la direction de l'attaque.

   C'est ce qui explique pourquoi son évolution vers le Shotokaï a été aussi rapide. En 1976, moins de dix ans après sa première rencontre avec Egami au Japon, ce dernier le confirma en tant que responsable Shotokaï pour toute l'Europe. Cela lui a permis de récupérer plusieurs clubs en France, laissés par le Maître Harada.

   Ce virage, qu'il a dû accomplir pratiquement tout seul, n'a pas été des plus faciles. Il m'a dit plus d'une fois : « Je n'ai pas changé de style sans doutes et sans appréhensions ». Il faut reconnaître qu'une fois la décision prise, il a été jusqu'au bout de sa recherche.


Maître Murakami à Toulouse (années 60)

Maître Murakami à Toulouse (années 60)

 


Q : Tetsuji Murakami recherchait l'efficacité de son Karaté ?


Xavier Corbin  : S'il y a un mot qui irritait le Maître, c'était bien le mot « efficacité ». Il avait l'horreur de l'efficacité telle que la cherchaient les gens passés au Karaté sportif, et qui lui demandaient souvent « Est-ce que c'est efficace votre Shotokaï ? ».

   L'efficacité immédiate n'était pas un but en soi : il la présentait comme une limitation. Ce qu'il fallait ressentir, c'était la nécessité de rechercher la perfection, au-delà de la technicité immédiate.

   Certains pensent qu'ils deviendront plus forts en connaissant un plus grand nombre de techniques. En réalité, c'est à travers un mouvement unique et simple comme l'Oï tsuki, que l'on peut se rapprocher du but, c'est-à-dire se débarrasser de la peur, de l'orgueil, de l'ego, de tout ce qui gêne le mouvement naturel.

   Là est sans doute l'efficacité telle que la pensait Murakami, dans cette révélation de la propre sagesse du corps, dans cette recherche du mouvement simple, qui permet, effectivement, d'être libre pendant le combat.

   Cette sagesse du corps ne peut pas se transmettre directement, car elle est le fruit d'une recherche personnelle. Le Maître nous disait souvent : « Je peux vous enseigner bien des choses, mais je ne peux pas vous prêter mes jambes ».



Q : Quand on parle avec des « anciens » qui ont connu le Maître, tous font allusion à sa sévérité radicale. Toi, qui l'as connu dans un contexte plus privé, tu nous as toujours dit qu'il a beaucoup évolué au fil du temps, et qu'il a eu une position beaucoup plus tolérante à la fin de sa carrière :


Xavier Corbin  : Murakami s'en est expliqué directement  avec moi. Il m'a dit, plus d'une fois, qu'il fallait désormais assouplir notre exigence, afin de former beaucoup plus de cadres, car il était indispensable de développer le Shotokaï. Il était soucieux de l'agrandissement des clubs.

   Il m'a dit qu'il avait été obligé d'être extrêmement dur avec les premiers cadres de son école, mais qu'il fallait désormais développer, ouvrir davantage notre Karaté, être moins sévère afin d'avoir davantage de pratiquants.

   C'est ce que j'ai moi-même tenté de mettre en oeuvre dans mes clubs successifs.

   Il est vrai que, dans les tous premiers stages, on arrivait avec la peur au ventre. Mais je dois dire que je les ai faits avec beaucoup plus de plaisir au fil des années, car je sentais que l'alchimie du Shotokaï opérait en moi : plus de souplesse, plus de ki, etc.. Au lieu de la violence initiale, le Maître avait appris à nous encourager et à nous soutenir dans l'effort. C'est vrai que les plus anciens en ont gardé une crainte réelle (si ce n'est une terreur viscérale), ce que les nouveaux pratiquants n'ont pas eu à ressentir par la suite.



Q : Quelle conception avait-il du développement des Clubs ?


Xavier Corbin  : Il faut comprendre qu'il avait un esprit « missionnaire ». Il était arrivé en France avec, pour objectif, d'y développer le Karaté. Cela l'avait rendu très sensible à l'engagement des gens dans le développement du Shotokaï, à leur implication dans l'organisation des clubs, des stages.

   Une fois qu'il a formé les premiers cadres de son équipe, il s'est soucié de l'extension du nombre de pratiquants du Shotokaï et nous a donné des consignes pour la création de nouveaux clubs : dès qu'il y avait une nouvelle ceinture noire, il fallait l'envoyer ouvrir un nouveau Club. En Midi-Pyrénées, c'est ainsi qu'Edmond Ragot, Henri Alibert, Heuzé, José Paraga, Michel Miota, Michel Bréonce ont pris en main les Clubs de Sauzelong, Rangueil, l'Etam, Léo Lagrange, Bonnefoy, Pamiers etc. Il est évident que cela a affaibli mon propre Club, mais il fallait bien poser les bases d'une solide présence en Midi-Pyrénées. Le Maître disait volontiers que le Languedoc était son « fer de lance en province ».



Q : Le fait que le Maître Murakami ait pratiqué d'autres arts martiaux a-t-il eu une incidence sur son enseignement du Karaté ?


Xavier Corbin  : Au début, il enseignait à la fois le Karaté et le Kendo (il a été le formateur des premiers cadres du Kendo en France). Il a été très influencé par son passage par le Yoseikan de Motchizuki Minoru (le père), où l'on enseignait cinq disciplines, parmi lesquelles le Karaté, le Kendo, le Judo et l'Aïkido. Alors qu'il était trop léger pour le Judo, le Kendo fut son principal point d'appui pour le Karaté. Par la suite, il a laissé le Kendo parce que son niveau était plus élevé en Karaté et que de jeunes maîtres haut gradés venaient d'arriver en France et pouvaient prendre le relais.

   Son enseignement du Karaté s'est visiblement nourri de sa connaissance du Kendo : il nous disait qu'il ne fallait pas penser le coup, mais laisser le corps agir par lui-même. Ce sont aussi les mêmes principes en Aïkido.

   L'un de ses anciens assistants (Sou, qui l'a ensuite quitté pour raisons personnelles) conseilla pendant longtemps à certains anciens de continuer à travailler avec Murakami, car il considérait qu'il devait sa réussite en combat à l'application des principes que son premier Maître lui avait transmis.



Q : C'est du sabre que vient l'expression  « il faut chasser avec les yeux », que tu emploies parfois dans tes cours ?


Xavier Corbin  : Cette phrase de Murakami date de sa période Shotokan. Elle est difficile à expliquer aux élèves tant qu'on ne l'a pas ressentie en soi-même : c'est comme si l'on pouvait projeter l'énergie par les yeux. Elle rejoint l'idée que, dès le premier regard, le combat est déjà terminé. La détermination doit pouvoir se sentir par le regard.



Q : Après s'être mis en marge de la Fédération, Tetsuji Murakami s'est ensuite très bien intégré et a encouragé ses élèves à passer leurs grades dans les Ligues :


Xavier Corbin  : Murakami avait l'esprit du Budo et, comme Shigeru Egami, il ne voulait pas rentrer dans les pratiques françaises de la compétition sportive à l'occidentale. C'est pourquoi il s'est mis en marge au début.

   D'une certaine manière, il pratiquait lui-même directement le combat avec ses ceintures noires, sans protections ni règles particulières. « Chacun avait droit à sa tripotée » vous diront les anciens. Pour l'anecdote, les ceintures noires avaient généralement droit à leur séance de bizutage par le Maître. J'y ai eu droit moi aussi. Lorsqu'il est venu manger à la maison, ma femme lui en a fait le reproche, car j'étais revenu avec un oil poché et la lèvre ouverte, ce qui était peu compatible avec mes activités professionnelles. Il lui a répondu : « C'est parce que j'ai voulu qu'il me ressemble et qu'il ait comme moi les pommettes saillantes et les yeux bridés. » Ses réparties ne manquaient pas d'humour.

   En 1969, lorsque j'ai passé la ceinture noire, elle n'était pas homologuée. Il m'a fallu attendre 1972, lorsque des accords ont été passés avec la Fédération.

   Lorsqu'il s'est décidé à rentrer à la Fédération, il l'a fait « à la japonaise », c'est à dire en rentrant à fond. Il avait enfin trouvé à la Fédération française de Karaté des gens conciliants (Sauvin, Delcourt), qui ne nous obligeaient pas à faire du combat sportif, et qui ont accepté des compromis sur des épreuves spécifiques.

   Au jury, quand il portait des jugements sur les candidats Shotokan, il était souvent très dur car il connaissait bien ce style pour l'avoir pratiqué. Je me souviens, par contre, qu'il a porté un jugement très positif sur Francis Didier, l'actuel Président de la FFKAMA, qui était alors dans l'Equipe de France, et qu'il avait remarqué parce qu'il trouvait qu'il avait une très bonne technique.

   Au début, bien que ses élèves arrivés au 1° kyu fussent d'un très bon niveau, il collait systématiquement un élève sur deux, car il ne voulait pas que la Fédération lui reproche d'être trop laxiste. Il encourageait, bien sûr, les collés à se représenter la fois suivante.

   Pour ma part, il m'a demandé en 1973 de le représenter au sein de la Ligue du Languedoc, afin de constituer les jurys et de les présider. Ainsi, à Toulouse, tout a pu très bien se passer pour le Shotokaï, jusqu'à l'arrivée d'Adolphe Schneider, qui prétend réunir les anciens élèves de Murakami et d'Harada.



Q : Une fois que le Maître Murakami a disparu, comment avez-vous agi pour que l'héritage qu'il vous avait légué puisse être transmis ?


Xavier Corbin  : Je savais, lorsque le Maître Murakami a disparu, qu'aucun de ses élèves, même les plus avancés, n'avait, à lui tout seul, réalisé le degré d'évolution auquel le Maître Murakami était parvenu. C'est pourquoi j'ai toujours plaidé pour la collégialité entre ses anciens élèves, ce qui permettait de réunir ainsi l'ensemble de l'héritage qu'il nous avait légué. Chacun de ses anciens élèves était le dépositaire d'une partie de sa pratique, à condition de ne pas se considérer lui-même comme un grand maître. Ce discours n'a pas été entendu au début.

   J'ai toujours pensé qu'à partir du moment où l'un des élèves allait s'asseoir sur le siège du Maître, il allait tomber dans l'erreur.

   Ce que j'ai apprécié chez Luís de Carvalho, c'est qu'il n'avait pas du tout ce mauvais esprit. C'est pourquoi notre collégialité a bien fonctionné : chacun de nous devait effacer son ego pour transmettre le plus purement possible ce que le maître a fait émerger en nous.

   Le Maître Murakami me disait que, ce qui l'étonnait chez Luís, c'était son engagement : sa capacité à quitter le Portugal, à s'installer à Paris pour travailler sous sa direction, sans avoir ni travail ni point de chute préalable. Il a eu ce courage de faire ce saut dans l'absolu, d'engager totalement sa personne pour l'amour du Karaté.

   Depuis la création de l'Association Shotokaï Murakami, puis du Mu Shin Kaï, nous avons travaillé ensemble sans l'ombre d'un désaccord, « I shin den shin » (« de ton âme à mon âme), dans l'esprit que nous ont légué le Maître Murakami et le Maître Egami.

   Grâce à Luís, de nombreux clubs en Italie, Suisse et Portugal ont continué à nous honorer de leur amitié, ont continué à travailler avec nous, ce qui nous a permis de nous rencontrer chaque année au stage de Sérignan.


Propos recueillis par Jésus Aguila   


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